"L'élégance du hérisson"* est mon roman du moment et il n'y a rien d'original à cela puisque selon mon libraire, c'est le roman de l'été. Et puis c'est surtout le seul auteur qui a accepté de me verser un pourcentage pour en parler ! (plaisanterie ! Précision apportée pour éviter un procés, la maison d'Editions est de ceux qui font la pluie et le beau temps dans le milieu littéraire...).
Voici donc un bref extrait de l'ouvrage, p.20. Parole à Paloma :
"Moi, j'ai douze ans, j'habite au 7 rue de Grenelle dans un appartement de riches. Mes parents sont riches, ma famille est riche et ma soeur et moi sommes par conséquent virtuellement riches. Mon père est député après avoir été ministre et il finira sans doute au perchoir, à vider la cave de l'hôtel de Lassay. Ma mère... Eh bien ma mère n'est pas exactement une lumière mais elle est éduquée. Elle a un doctorat de lettres. Elle écrit ses invitations à dîner sans fautes et passe son temps à nous assommer avec des références littéraires ("Colombe, ne fais pas ta Guermantes", "Ma puce, tu es une vraie Sanseverina").
Malgré cela, malgré toute cette chance et toute cette richesse, depuis très longtemps, je sais que la destination finale, c'est le bocal à poissons. Comment est-ce que je le sais ? Il se trouve que je suis intelligente. Exceptionnellement intelligente, même. Déjà, si on regarde les enfants de mon âge, c'est un abysse. Comme je n'ai pas trop envie qu'on me remarque et que dans une famille où l'intelligence est une valeur suprême, une enfant surdouée n'aurait jamais la paix, je tente, au collège, de réduire mes performances mais même avec ça, je suis toujours la première. On pourrait penser que jouer les intelligences normales quand, comme moi, à douze ans, on a le niveau d'une khâgneuse, c'est facile. Eh bien pas du tout ! Il faut se donner du mal pour se faire plus bête qu'on n'est. Mais d'une certaine façon, ça m'empêche de périr d'ennui : tout le temps que je n'ai pas besoin de passer à apprendre et à comprendre, je l'utilise à imiter le style, les réponses, les manières de procéder, les préoccupations et les petites fautes des bons élèves ordinaires. Je lis tout ce qu'écrit Constance Baret, la deuxième de la classe, en maths, en français et en histoire et j'apprends comme ça ce que je dois faire : du français une suite de mots cohérents et correctement orthographiés, des maths la reproduction mécanique d'opérations vides de sens et de l'histoire une succession de faits reliés par des connecteurs logiques. Mais même si on compare avec les adultes, je suis beaucoup plus maligne que la plupart d'entre eux. C'est comme ça. Je n'en suis pas spécialement fière parce que je n'y suis pour rien. Mais ce qui est certain, c'est que dans le bocal, je n'irai pas. C'est une décision bien réfléchie. Même une personne aussi intelligente que moi, aussi douée pour les études, aussi différente des autres et aussi supérieure à la plupart, la vie est déjà toute tracée et c'est triste à pleurer : personne ne semble avoir songé au fait que si l'existence est absurde, y réussir brillamment n'a pas plus de valeur qu'y échouer. C'est seulement plus confortable. Et encore : je crois que la lucidité rend le succés amer alors que la médiocrité espère toujours quelque chose."
ça vous a mis l'eau à la bouche ? Finalement je devrais peut-être songer sérieusement à demander un pourcentage aux auteurs...
L'EDUC.
* "L'élégance du Hérisson", Muriel Barbery, Editions Gallimard, collection NRF, 2007.
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