« La société d'aujourd'hui semble trop souvent se résumer à un terrain de foot ou chaque équipe connaîtrait par cœur le jeu du camps adverse. Les jeunes en difficultés dans les quartiers ont bien souvent une vision très stéréotypée de la société : une France rejetante et raciste, équipée d'une police fasciste, dominée par des patrons prêts à tout pour faire du profit et des politiques malhonnêtes. Leur monde extérieur, c'est à dire le reste de la société s'est également reclus dans une bulle tout autant nourrie de représentations à l'égard des "sauvageons". Dans ce succulent tableau intervient un personnage tiers dont le rôle pourrait ne pas être des moindres. Il pourrait. Mais il faudrait, pour cela, qu'il soit en capacité d'utiliser ce fameux levier des représentations. Ce personnage, c'est l'éducateur. Particulièrement celui qui intervient sur les quartiers, auprès des dits gamins. Mais il est, dans le monde du social, une pensée commune implicite au sein de laquelle tout nouvel arrivant est attendu. Et cette idée dominante est trop souvent trop proche de celle des gamins. Un nombre trop important d'éducateurs spécialisés ont aussi une représentation stéréotypée de la société. Dans ce trio, chaque acteur semble perdu dans sa propre bulle de représentations. »
La société d'aujourd'hui semble trop souvent se résumer à un terrain de foot ou chaque équipe connaîtrait par cœur le jeu du camp adverse. Les jeunes en difficultés dans les quartiers ont trop souvent une vision très stéréotypée de la société : une France rejetante et raciste, équipée d'une police fasciste, dominée par des patrons prêts à tout pour faire du profit et des politiques malhonnêtes. Face à cela, ils adoptent une attitude à la fois de repli, de défense et d'attaque. Les gamins les plus englués dans cette représentation pensent qu'il n'y a que la "magouille" pour s'en sortir, quitte à faire régulièrement de la prison. Leur monde est dominé par la loi du plus fort. Beaucoup d'entre eux n'ont pas usés les bancs d'école, l’échec les en a vite éloigné. Le résultat d'un tel gâchis ? Des individualités qui n’ont pas éclos parce que noyées par une image collective dans laquelle ils se sont laissés enrôlés. Des petits « hommes prototypes » sortis d'usine, toujours la même, caractérisés par un vocabulaire pauvre, des expressions communes : "mon frère", "il a poucave", "c'est un blédard", "il fait la boule".., une tenue vestimentaire venue tout droit des clips de rap américain, une manière de marcher façon soldat blessé, un seul courant musical en guise de repères (à nouveau le rap), une identification aux lois caïds et machistes et quand tout va vraiment mal, de l'insolence, de la violence, tant physique que verbale, de la provocation, et le sentiment que la société leur doit beaucoup. Notamment le droit de ne pas travailler. Ces gamins se sont perdus dans un monde sclérosé, truffé de métastases de représentations. Leur monde extérieur, c'est à dire le reste de la société s'est également reclus dans une bulle tout autant nourrie de représentations à l'égard de ces "sauvageons". Chaque camp ayant peur de l'autre se perd dans sa bulle de représentations. Et bien entendu, la situation n'avance pas. Comment le pourrait-elle dans un tel contexte ?
Dans ce succulent tableau intervient un personnage « tiers » dont le rôle pourrait ne pas être des moindres. Il pourrait. Mais il faudrait, pour cela, qu'il soit en mesure d'utiliser ce fameux levier des représentations. Ce personnage, c'est l'éducateur. Particulièrement celui qui intervient sur les quartiers, auprès des dits gamins. Son rôle s’inscrit dans du long terme, il consiste à amener le jeune à trouver ses propres ressources afin de tendre vers une certaine harmonie personnelle et sociale suffisante pour évoluer dans la société. Mais il est, dans le monde du social, une pensée commune implicite au sein de laquelle tout nouvel arrivant est attendu. Et cette idée dominante est trop souvent trop proche de celle des gamins. Un nombre trop important d'éducateurs spécialisés ont aussi une représentation stéréotypée de la société. Cette manière de voir s'impose dés l'entrée en formation. Il est en effet de bon ton de "penser unique" dans les écoles du social. Aussi, "les jeunes sont victimes d'une société blanche capitaliste aux relents parfois colonialistes", telle est un peu l'idée, à peine caricaturée. Dans ce contexte, un directeur d’Association qualifie la nouvelle présidente du MEDEF de "bécasse" en précisant tout le bien qu'il pense du gouvernement actuel. La scène se passe en réunion de travail et elle n'est pas isolée, puisqu'au cours des autres temps de travail il est souvent question d'un certain loup blanc du social, en son petit nom de M. Sarkozy. On l'évoque comme l'ennemi en temps d'occupation et il est préférable de s'entendre sur ce sujet sous peine d'ouïr "il y a des Sarkozy parmi nous". La prévention spécialisée, du point de vue de mon expérience de terrain, est paranoïaque. Et cette expérience se situe sur trois équipes différentes au sein d'une Association qui ne manque pas de poids dans le secteur. Certains ne se retrouveront bien évidemment pas dans cette description mais je crains fortement qu'ils ne soient pas majoritaires. Pire encore, je crains qu'aucun ne se retrouve dans cet énoncé tant je pense que le déni est virulent. Ce propos sera alors tout simplement taxé de haute caricature, pour ne pas dire haute trahison.
Il est pourtant des lectures qui me rassurent. Les écrits de M. Jean-Marie PETITCLERC, éducateur spécialisé, sont de celles-ci. Dans un extrait de la Revue "Non-Violence Actualités" de février 2001, l'auteur nous dit : "Il y a un discours qui a été largement répercuté par les médias sur la délinquance d'exclusion : " Ils sont délinquants, mais c'est parce que les tours sont trop hautes, le chômage trop fort, etc." Ce discours-là est peut-être pertinent d'un point de vue sociologique, mais très dangereux d'un point de vue éducatif car il déresponsabilise complètement les jeunes. Un jeune s'apprête à faire brûler une voiture, je lui demande pourquoi ; il me dit : "C'est parce que mon père est au chômage, mon frère est en prison" ; je lui dis : "Arrête ton char, c'est toi qui choisis de frotter l'allumette et de mettre le feu au carburant. Au moment où toi tu prends cette décision, que vient faire ton père au chômage et ton frère en prison ?"... On s'aperçoit donc qu'un discours qui s'est voulu généreux, tenu par des militants généreux, s'est révélé complètement dangereux. Or, lorsque le gamin intègre ce type de discours, alors plus rien ne le retient parce que ce qu'il fait, c'est la faute à la société. Les adultes doivent réinvestir l'espace publique"
Quant à moi, ou est-ce que je me situe dans ce discours, me direz-vous ? Après tout, je suis moi aussi, éducatrice spécialisée ! Et comme tout un chacun, la question des représentations est aussi mienne et j'en suis également parfois prisonnière. Toutefois, je ne me retrouve pas dans la pensée que je décrie, tout simplement parce que je crois profondément que nous vivons actuellement une crise éducative qui ne sera pas sans conséquences pour demain. Et je demeure convaincue que nous ne parviendrons à en sortir qu'au prix d'un effort, certes inconfortable, mais nécessaire, de remise en question en termes de valeurs, et de croyances.
A ce titre, Françoise KOURILSKY, psychologue et spécialiste du management du changement, nous dit : "Il faut être l'observateur de ses pensées". La pratique de l'auteur est issue d'un savant mariage entre le courant systémique, constructiviste et la philosophie orientale. Et son approche est digne d'un grand intérêt dans l'affaire qui nous intéresse. L'idée est que l'être humain construit une réalité de deuxième ordre (les sens, l'interprétation, la déduction, l'hypothèse, la supposition..) à partir de la réalité de premier ordre (les faits, un comportement, une expérience). De cette réalité de deuxième ordre découle la "nacelle" émotions, sensations, comportements, action, réactions, décisions. En un mot, ce que nous ressentons et agissons. Si l'on considère le jeune, la société et l'éducateur comme un système et si, comme je le dis plus haut, nous pensons qu'il est nécessaire d'intervenir sur le système, jugé non satisfaisant dans son interaction, afin d'obtenir un changement, il sera alors nécessaire d'opérer au niveau de la réalité de deuxième ordre. Il est en effet vain et malsain de vouloir agir sur la "nacelle" émotions et agis, celle- ci étant étayée de l'expérience vécue, or contre dire l'expérience vécue se résume à la nier et nier l'expérience vécue représente dans le courant systémique ce que l'on appelle une atteinte à l'écologie du système. Aussi, dans l'idée d'une intervention sur le système "société, jeunes, éducateurs" nous interviendrons donc sur la réalité de deuxième ordre de chacun des acteurs, soit sur, les valeurs, les croyances, les critères, les règles, les suppositions et hypothèses des trois protagonistes. L'idée étant que tout se passe au mieux, il est donc nécessaire d'éviter de heurter l'écologie du système sous peine de se retrouver face à des résistances. En termes plus clairs, il ne faut pas s'inscrire dans une démarche "d'aller contre" mais plutôt "de faire avec". En effet, la systémique nous dit qu’une représentation ne se combat pas mais s'élargit. Combattre une représentation consiste à « aller contre » ce qui ne manquerait pas de créer, au mieux, un blocage, au pire une régression du système. De manière concrète, le discours à tenir auprès de chaque acteur ne consiste pas à dire "cette représentation n'est pas la bonne" mais "cela peut représenter ça mais aussi ceci et cela".
Le secteur social est une vieille dame prisonnière. Elle appréhende le monde selon un modèle de pensée qu’il serait nécessaire de remettre à jour et il me semble qu’elle s’inscrit aujourd’hui dans un besoin, celui d’être accompagnée dans une conduite de changement. Face à ce travail, les détenteurs du levier de changement sont les écoles de formation, les institutions et les médias du secteur. Un simple exemple pour illustrer ce propos. J’ai débuté cette année une formation intitulée « Coaching personnel » à l’Université Paris VIII. J’ai demandé à l’Association qui m’emploie si cette formation pouvait être financée dans le cadre du programme de formation interne. La réponse fut négative pour différentes raisons mais l’une d’entre elles concerne le domaine de la formation que j’ai choisie. Ainsi, lorsque j’ai été reçue par le directeur pour formuler ma demande, celui-ci m’a fait part de sa représentation du coaching : "un outil douteux utilisé par les sectes. ".
Il se trouve pourtant que cette formation, comme toute processus de formation, redonne un dynamisme salvateur à ma pratique, m’amène à nouveau à la questionner mais aussi et surtout, me permet d’accéder à un autre modèle de pensée que celui qui, d’une certaine manière s’était imposé à moi lors de ma formation d’éducatrice spécialisée, puis ensuite, lors de l’exercice de mon métier dans différentes institutions et différents secteurs du social. En ce sens, cette formation représente une valeur ajoutée pour l’Association ainsi que pour l’équipe au sein desquelles je travaille.
L’accompagnement vers le changement (le coaching) est une pratique qui pourrait représenter un grand intérêt face à l’accompagnement des jeunes en difficultés. Tout est simplement à modeler, à adapter et cela peut se faire en toute éthique. Il nous faut pour cela, dans l’intérêt des personnes que nous accompagnons, accepter un travail d’élargissement de nos représentations.
L'EDUC.
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