"Ne prenons pas le problème à l'envers, c'est bien cette société qui produit de la violence, et ceci n'est que la conséquence des maladresses successives de nos politiques !" Dites-vous en partie lors d’un commentaire déposé sur le blog en date du 4 juin 2006 et en réponse à la note intitulée « Lucky Luke au pays des socialistes ». Au risque de vous paraître désagréable, je me permets de préciser que je ne vous rejoins pas sur le propos. Car s'il est des responsables à trouver face à la situation de délinquance de certains jeunes aujourd'hui, la seule évocation de la société et des politiques me paraît réductrice et caricaturale. La situation n’est-elle pas, en effet, plus complexe que cela ?
Si certains jeunes flirtent avec Dame délinquance seulement parce que la société est violente et les politiques inefficaces, pourquoi les jeunes ne sont-ils pas alors tous délinquants ? Parce qu'ils sont pauvres et exclus, me répondrez-vous peut-être ? (Excusez-moi, cher collègue, pour ce "petit jeu" de questions réponses). Mais la violence, n'est pas, il me semble l'apanage des pauvres, encore moins leur fatalité ! Et il en va de même pour le mécanisme de l'exclusion qui est malheureusement inhérent à la société humaine. L'exclusion n'est pas que sociale ou culturelle, elle revêt bien d'autres parures. Elle peut être psychologique (je fais référence ici aux personnes considérées comme "hors norme" par ce que souffrant de difficultés psychologiques) affective (exclure l'autre à travers un rejet d'ordre affectif), liée à l'origine (à ce titre, l'exclusion ne s'exerce pas seulement d'un pays à un autre, je pense ici à un vécu personnel d'enfance dans le cadre d'un déménagement et donc d'un changement de région), liée au savoir être (rejeter l'autre parce qu'il est différent, l'homophobie en est un exemple), liée à la pensée... En ce sens, beaucoup ont eux à supporter les affres de l'exclusion, à des degrés divers certes, mais la peine fut encore plus douloureuse pour quelques uns que pour certains gamins des quartiers. Et ils ne sont pas nécessairement devenus délinquants.
Le tout est, me semble t’il une question de norme dominante dans laquelle il est de bon ton de s'inscrire, or nous sommes bien là au cœur d’une problématique sociétale face à laquelle chacun est assujetti. Etre dans la norme et se fondre dans la masse ou oser être singulier au risque de se voir parfois exclure de la communauté. Et le secteur social n'y échappe pas. Il est en effet actuellement de bonne augure chez les éducateurs qui oeuvrent dans le social (en perspective avec le champ du handicap) de critiquer fiévreusement M. Sarkhozy et ce, quoi qu'il fasse et quoi qu'il dise, n'est-ce pas là une forme de pensée dominante et excluante ? Je ne prône pas particulièrement la politique du ministre de l'intérieur mais toutes les propositions sont-elles à rejeter en bloc ? Quoi qu'il en soit le débat est quasi impossible à mener sur le terrain, sous peine d'une forme d'exclusion de la communauté éducative (en faisant en sorte que "l'éducateur traitre" parte de lui-même...). Mais pour en revenir à nos jeunes « pauvres et exclus qui vivent dans une société violente, dirigée par des politiques qui ne servent à rien », (j’assume ici la caricature de vos propos dans la mesure ou ce discours est celui de bon nombre d’éducateurs de rue), mon expérience quotidienne ne m'amène pas à penser la situation de la même manière que vous. Beaucoup de ces jeunes évoluent dans une posture de toute puissance, certains s'inscrivent dans une réelle impunité, et ce malgré des délits parfois graves. D'autres, parfois les mêmes, bien que sans emploi, passent leur vacances en Thaïlande ou ils paieront une asiatique pour les accompagner et leur donner du bon temps durant le séjour, en se moquant des éducateurs qui partent en vacances au camping. Les vêtements de certains sont des marques de la tête aux pieds, leur portable est dernier cri, tout comme la console dans la poche. Ces jeunes ne sont-ils que des vicitimes ? Ne peut-on pas les appréhender également comme des acteurs de leur posture d'aujourd'hui et surtout de celle qu'ils pourraient adopter demain ? Une jeune fille m’a résumé récemment la pensée de certains : « Pourquoi aller bosser huit heures par jour pour payer ton loyer et ta voiture alors que tu peux gagner la même chose en quelques jours ? ». Elle faisait référence au trafic. Ce dont je parle ici, c'est du quotidien de mon travail d'éducatrice en prévention spécialisée. Or, je crois à la portée d'un accompagnement éducatif auprès de ces gamins, je crois à un vrai boulot éducatif mais pas tel qu'il est mené actuellement sur le terrain. Pas dans un tel contexte de victimisation. Face à ces nombreux constats, bien réels, quelle est mon hypothèse ? Que la responsabilité est tant partagée qu'elle finit pas être diluée... Les politiques n'ont pas anticipé le phénomène, peut être par manque de volonté ; l'école n'a pas été en mesure de s'adapter ; certains parents, et je dis bien "certains", des dits gamins ne se responsabilisent pas suffisamment face à leur enfant, ils ne disent pas l'importance de l'école, ont peur parfois de dire non, le décalage culturel de certaines familles ne représente pas toujours une aide dans ce contexte ; les éducateurs de rue (premiers acteurs sociaux sur les quartiers) sont trop souvent responsables d'un discours de victimisation des jeunes, ils ne les aident pas à se responsabiliser, à être acteur de leur présent et de leur avenir. Enfin trop de citoyens lambda laissent parfois un gamin de 10 ans leur manquer de respect dans la rue, par peur, par lassitude, par désintérêt ? ils perdent l’initiative de se positionner en adulte structurant. N'est-ce pourtant pas cela "faire société". On peut enfin ajouter le rôle des médias de masse, la mondialisation, et j'en oublie certainement.
J'espère, cher Lorenzo, que le tout ne vous aura pas froissé mais j'attends impatiemment le moment ou chacun regardera la situation en face et cherchera enfin des solutions adaptées à des réalités de terrain. C’est de la société de demain dont il est question.
L'EDUC.
Chère Isabelle,
Vous faites un bel étalage de constats, que je ne conteste aucunement.
J' adopte personnellement une certaine liberté de ton, directement issue d'un vécu... et du fait que je sois "neuf" dans la profession.
En fonction de cela, et ainsi que j'ai pu l'exprimer ailleurs sur ce blog (et dans d'autres lieux encore), je ne fais pas d'angélisme par rapport à ce métier "jeune", qui n'en finit pas de se chercher, à l'instar de la psychanalyse.
Cependant, cette "jeunesse" professionnelle dispose d'une expérience.
Observons un peu l'histoire de la prise en charge de la jeunesse délinquante, bien des voies ont été explorées depuis le début du siècle dernier. Tant en terme de fermeté qu'en terme de "solutions alternatives".
Avec les résultats que l'on observe...
Reconsidérer l'ordonnance de 45, qui a été modifiée 15 fois (dont 2 fois par ce gouvernement), pour en faire un nouvel outil de (ré)pression, alors que cette loi était déjà initialement résolument moderne, en privilègiant l'éducation par rapport à la répression justement. En intégrant le statut de victime dans nos réflexions.
Ce que vous semblez remettre en cause, n'est-ce pas l'essence même de l'acte éducatif ?
Pouvez-vous admettre une seconde la transmission d'informations aux Maires ?
Jusqu'où pensez-vous que peut aller la stygmatisation ?
A force de quête d'identité (je pense aux "techniciens de la relation" des années 80), les éducateurs se sont perdus, et n'ont pas su défendre leurs convictions, ont vendu, d'une certaine manière, leur âme aux politiques...
Pensez-vous que ce soient réellement les technocrates qui doivent s'emparer de la question sociale ?
Oui, la société va mal, oui, on peut "cacher" cette souffrance dans des Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs...
Ainsi la société ira automatiquement beaucoup mieux...
Le croyez-vous ?
Je pense sincèrement que les difficultés sociales rendent la société violente, en ce qu'il y a de plus absurde et de plus inadmissible... son devenir... ses enfants !
Je vous invite, si ce n'est déjà fait, à voir cet excellent film brésilien "La cité de dieu", ou encore à observer ce qui se passe aux USA (émeutes de Los Angeles) pour constater de vous-même ce que donne une politique rigoriste, dure, et lorqu'on "cache" la misère...
Cordialement,
Rédigé par : Lorenzo | 12/06/2006 à 15:10
Euh... Lorenzo,
Je suis peut-être idiot mais votre commentaire ne semble pas répondre à l'argumentaire de l'éduc! Vous avez le droit de penser que les difficultés sociales sont sources potentielles de violence, mais peut-on la considérer comme la racine évidente du mal? Je trouve qu'une telle opinion pour être recevable mérite une argumentation forte sur d'une part le lien de cause à effet entre difficultés sociales et violences et d'autre part, le fait que l'absence de difficulté sociale réduirait considérablement le risque de violence dans notre société.
Ensuite la définition de la violence peut énormément varier. La violence conjugale est un fait avérer et est très souvent ignorée car pratiquées par des gens "tout à fait normaux" en apparence. Il y a aussi la violence verbale qui peut détruire un individu (et même le pousser au suicide) sans que personne n'ait jamais porté la main sur lui.
Je trouve qu'Isabelle a le mérite d'aborder le problème dans sa globalité et n'excluant a priori aucun aspect. Ce qui en terme de raisonnement et de réflexion me semble des plus salutaires.
Rédigé par : Cedric | 12/06/2006 à 20:29
Bonjour,
Je rejoins assez isabelle dans sa réflexion. Et je rajouterais qu'il serait aussi bon d'apprendre ou de réapprendre à nos enfants à gérer leurs frustrations. L'on peut chercher un responsable à la délinquance à mon sens il s'appelle éducation. "Le pauvre" (je suis volontairement provocateur) peut aussi être éduquer et "le riche" délinquant.
Rédigé par : Freddy | 23/06/2006 à 20:58
un lein évident, oui entre les processus d'entrée dans la délinquance et les situations de misère économomique (qui se multiplient)...
allez dc voir l'origine sociale (en terme de PCS du père, uniquement malheureusement!!) des jeunes et des moins jeunes détenus...
STP, l'éduc ne perd pas ton temps à me répondre, je suis accablée par ton site et sur ce que tu véhicules sur les habitants des quartiers populaires, urbains -il est vrai de plus en plus issus de l'immigration-..
stigmatisation, mépris, racisme, rejet dans une alterité, qui te permet de te placer du côté de la morale, du contrôle social, de la domination....
NB: essaye quand même de comprendre un tant soit peu les jeunes que tu ai sensée aider.... et d'imaginer qu'à leur place dans notre société, qu'avec leur histoire, tu serais peut-être de l'autre côté!!
cécile baron
Rédigé par : cécila baron | 27/06/2006 à 17:08
En tant que chercheur et appartenant à différentes société savantes, j'ai appris à formuler des critiques et à les assumer publiquement. Aussi face au projet de Nicolas Sarkozi, je crois qu'il ne faut surement pas se poser la question de savoir s'il y aurait un minimum syndical de bonnes idées. Si certains évidemment veulent se "placer" pour faire parti d'un échiquier post-présidentiel alors il va de soit qu'on peut considérer qu'ils abandonne une certaines éthique professionnelle. Cela les regarde.
Ayant lu le rapport pronant une mise globale sous ritaline des délinquants ou pseudo-délinquant, j'avoue que je ne reconnais pas le principe de progres qui doit pousser chaque chercheur à produire des résultats. Vis à vis des remarques des rédacteurs du projet, je trouve que la science a accouché d'un montre et qu'il faut que l'ensemble d'une profession empeche la mise en place d'une sorte de chappe médicamenteuse qui soit disant empecherait la montée de la délinquance.
Par ailleurs, il me semble que poser la possibilité de trier les gamins de maniere à dire que certains auraient des aptitudes à faire le mal dès le plus jeune age est globalement une technique quasi malthusienne qui fait honte à ceux qui le préconise. Mes relations au sein de la recherche m'ont conduit à discuter longuement du projet Sarko et à chaque fois j'ai pu constater l'effroi que provoquait ce rapport. Si ce rapport etait paru dans un autre pays moins regardant au niveau démocratique, cela aurait fait un tolé au niveau international... mais aujourd'hui il semble que notre monde sombre dans une sorte d'obscurantisme bien orchestré par des déclinologues à tendance poujadistes.
J'assume bien évidemment mes propos qui n'engage que moi.
Rédigé par : Yannick Comenge | 02/07/2006 à 15:24
Et s'il nous arrivait parfois d'être victimes de nos propres représentations : une délinquance qui puiserait nécessairement ses sources dans la pauvreté, toutes ces politiques qui ne placeraient aucune volonté dans la résolution des difficultés, voire qui pourraient "comploter",une éduc qui ne pourrait qu'être née du "bon côté", un propos qui serait fatalement excluant et raciste parce que vigilant face aux dégâts de la victimisation ? Les vocables "stigmatisation, exclusion et racisme" prônent des valeurs humaines qui devront toujours être défendues avec force mais leur usage n'est-il pas aujourd'hui le mot d'ordre du rejet d'un "humanisme" qui mériterait d'être redéfinis ?
Rédigé par : L'EDUC | 06/07/2006 à 22:41