"Il faut que vous signiez un écrit qui engage la responsabilité de la Fondation Virlanie face à la disparition de ces enfants" me dit la représentante de l'institution avec sévérité. Je sens une certaine panique quant à l'attitude à adopter. Et je réalise surtout que l'enjeu est de taille. Je fais ainsi l'apprentissage de la représentation. Exprimer ses opinions quand elles n'engagent que soi est une démarche noble et empreinte de liberté. Mais dans ce contexte, il m'apparaissait que c'était le travail de plusieurs personnes, depuis plusieurs années qui était mis à l'épreuve. Mes paroles, mes actions ou pire encore, mes écrits, engageaient la légitimité d'une O.N.G. Je n'étais plus seule responsable de mes actes. Et cela se déroulait à plus de 10 000 kilomètres de mon lieu de naissance, de mes repères ; loin de maman, dans la langue de Shakespeare.
Je réponds à qui veut l'entendre qu'il est hors de question que je signe quoi que ce soit. "Les écrits restent" dit-on chez les français, pas folle la guêpe ! Je demande à pouvoir bénéficier de la dernière faveur du condamné : un appel téléphonique. Il faut que je puisse parler à Dominique Lemay, le fondateur de Virlanie ; c'est son oeuvre qui est mise en péril ! La requête est acceptée. Nous sommes en 1996, pas de téléphone portable. Je soulève un gros combiné, compose le numéro sur un gros cadran ; la technologie fait son travail. A quelques kilomètres, un autre gros appareil se met en branle ; Il prévient le quartier général de l'Organisation non gouvernementale à dessein humaniste qu'une de ses oies de passage, aussi idiote que jeune, a le trouillomètre à zéro ! Une main soulève le combiné, "Yes" ? dit-on ! Mon anglais est approximatif mais il va falloir vite se comprendre, l'heure est grave. "I'm Isabelle, I need to talk to Dominique !" "Dominique is not here" me répond-t'on. C'est toujours la même histoire, les petits ne peuvent jamais compter sur les grands quand ils en ont besoin. J'explique tant bien que mal mon embarras. La main qui a décroché comprends. Mais elle ne peut rien pour moi. Le mieux est de quitter mon geôlier sans aucun engagement me dit-on. L'idée est belle mais le maton est en face de moi, les dents serrés (ce qui est d'autant plus impressionnant car les dents des philippins sont plus petites que celles des européens, et je ne manque pas d'y voir des quenottes incisives prêtes à m'avaler toute crue. "Après tout, ils sont peut-être cannibales aussi ces gens-là !".
Je repose l'objet de télécommunication puis j'annonce avec dignité à la sentinelle, que de ce prompt pas, je vais m'en aller. Et je joins l'acte à la parole, en faisant quelques petits pas d'entrechat, en marche arrière. Je reste bien sur d'une extrême vigilance car j'ai vu plusieurs fois le film "Midnigt Express", ce qui me permet de savoir de quoi ils sont capables à l'étranger !(c'est à dire hors des frontières françaises). Les regards des subalternes se fixent sur le capitaine qui tente de ne pas mourir étouffé par l'écume qui défigure le bord de ses lèvres pincées. Je fais un dernier petit signe de la main, peut-être comprendront-ils que cela signifie au revoir, tchao, bye, asta la vista !
La coupe est pleine, l'eau putride déborde du vase. Gargamelle déploie le coffre de sa cavité vocale et aboie : il est hors de question que je mette un pied hors du lieu de détention tant que je n'ai pas signé le "dit papier".
(Suite dans la note de demain.....)
L'EDUC.
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