Les projets éducatifs sont l’occasion pour les éducateurs de travailler autour de véritables questions éducatives. En ce sens, leur aboutissement n’est pas une condition sine qua non, même s’il est bien sur préférable qu’ils se concrétisent. Voici l’exemple d’un travail éducatif autour de la préparation d’un séjour qui aurait dû se dérouler en fin d’année dernière. Pour des raisons évoquées dans ce récit, il n’a pas eu lieu. Mais nous allons voir en quoi ce projet « avorté » a permis toutefois de réaliser un travail éducatif intéressant. L’occasion ici de passer au crible le fameux « acte éducatif ».
Le groupe avec lequel nous avons préparé le séjour est connu de l’équipe depuis plusieurs années. Certains d’entre eux ont eu l’occasion de partir une semaine avec l’équipe éducative en Alsace, quelques années auparavant. Ils en parlent souvent comme d’un moment notoire dans leur vie.
La bande de copains est composée de neuf garçons. Leur âge moyen est de quinze ans. Certains de ces jeunes s’inscrivent dans des difficultés importantes, à la fois au niveau de la scolarité (exclusions temporaires et ou/définitives) et de leur vie familial (parents décédés, familles polygames au fonctionnement complexe, parents âgés et/ou malades). Certains sont animés d’une violence latente qui se traduit en terme de comportement ( débit de parole important, ton de la voix souvent élevé se traduisant parfois plus par des cris que des paroles, capacités d’écoute très faibles, à la fois entre eux et vis-à-vis de l’adulte, certaines difficultés de compréhension de la parole de l’autre, difficultés en terme d’élaboration mentale, susceptibilité à « fleur de peau » pour certains et violence verbale et physique agie pour d’autres.). Cette violence se traduit par des insultes et des bagarres, même entre eux. Cette violence semble représenter une sorte de fascination au sein du groupe dont certains membres filment des bagarres de leurs pairs avec leur téléphone portable puis passent les scènes en boucle au sein du groupe.
La préparation du séjour
Déroulement
Les jeunes parviennent à se mobiliser autour de rencontres régulières avec l’équipe éducative le jeudi après-midi de chaque semaine. De ce travail émerge le choix d’un lieu, d’un mode d’hébergement et d’activités à pratiquer lors du séjour. Le travail éducatif s’inscrit toutefois dans un exercice de canalisation d’une certaine violence et agressivité des jeunes entre eux, ainsi que d’une certaine vigilance face à ce que l’on pourrait définir comme de l’insouciance, voire une inconscience du groupe aux prises d’une forme de toute puissance. Nous faisons ici référence au manque manifeste de mobilisation des jeunes face à leurs parents. Il semble en effet, après plusieurs semaines de travail que certains parents ne soient toujours pas informés de l’existence de ce projet et ce, malgré un courrier de présentation du séjour des éducateurs remis à chaque jeune, à l’attention de leurs parents.
Le contexte
Les jeunes acteurs du projet constituent le noyau principal des jeunes qui participent à l’atelier informatique du vendredi. L’équipe éducative situe l’outil informatique, dans le contexte de cet atelier, comme un prétexte à la relation. L’activité principale des jeunes est le chat, ce qui est loin d’être satisfaisant d’un point de vue éducatif mais qui permet tout de même à l’équipe des temps de rencontre avec des jeunes qui ne seraient peut-être pas venus au local sans ce prétexte.
Or, cet atelier informatique nous fut l’occasion de constater que le travail autour du séjour avait permis d’instaurer un certain rapport de confiance entre certains membres du groupe et les éducateurs. En effet, les temps conviviaux d’échange autour d’une boisson en attendant qu’un ordinateur se libère, temps assez brefs et teintés d’une certaine méfiance avant l’émergence du projet séjour, sont devenus peu à peu de vrais temps de communication. Les jeunes semblaient avoir du plaisir à prendre le temps de parler avec les éducateurs.
Cette confiance a permis aux éducateurs d’accompagner des jeunes de manière individuelle parmi ceux que l’on peut estimer les plus en difficultés. Ces adolescents, pour certains excessivement méfiants et animés d’une forte violence intérieure ont peu s’inscrire dans des demandes de soutien auprès de certains éducateurs. Des échanges importants autour de leur situation personnelle d’un point de vue social et familial ont pu se mettre en place. De même des accompagnements autour de leur situation scolaire ont eu lieu. Mais il est un fait majeur que l’on se doit de noter. Certains jeunes nous ont donné le sentiment d’accorder du crédit à la parole de l’adulte et ce, très probablement pour la première fois depuis longtemps. De cette ouverture est donc né un possible. Possible d’écouter la parole de l’autre, d’accepter de se remettre en question, possible de demander conseil à l’adulte et donc de ne plus penser qu’il faut, à l’adolescence, ne faire confiance qu’à soi-même.
Les difficultés
Elles se sont situées, de manière générale, autour de trois axes : La violence et l’agressivité au sein du groupe, le refus d’un père quant à la participation de son fils au séjour, jeune en quelque sorte initiateur du projet et jouant un rôle de leader dans le groupe, et enfin, le manque de mobilisation des jeunes vis-à-vis de leurs parents.
La violence et l’agressivité se sont manifestées principalement lors de l’atelier informatique du vendredi. En effet, à côté des temps conviviaux de discussions autour d’un thé, des bagarres ont eu lieu à plusieurs reprises entre les membres du groupe, à l’intérieur du local. L’intervention éducative n’a pas été des plus faciles dans ce contexte dans la mesure où ces jeunes acteurs de violence n’entendent plus la parole de l’adulte au cours de ces scènes très affectivées. Il est ainsi arrivé que seul des contentions physiques d’éducateurs parviennent à faire cesser le combat. Face à la difficulté de gestion de ces conflits et de cette violence, il est fort probable que l’équipe ait été à plusieurs reprises démunie et n’ait été en mesure de poser le cadre suffisant de réponse à ces situations. Dans ce contexte, la question du maintien ou non de l’atelier informatique s’est posée.
La deuxième difficulté s’est située au niveau du refus d’un père quant à la participation de son fils, Sissé au séjour. Ce jeune évolue au sein d’un contexte familial polygame. Sa mère est la troisième épouse et son statut et sa légitimité sont précaires au sein du foyer. La première épouse est au pays, la mère de Sissé est la « petite dernière » de M., elle est au foyer avec sa rivale. M. est détenteur des ressources principales de la famille, la mère du jeune concerné gagne quelques substantielles ressources en effectuant quelques menus travaux. Elle n’était donc pas en mesure de faire face, seule, à la participation financière demandée aux familles et ce, malgré la somme modique qu'elle représentait. Le père de Sissé a pour sa part, refusé toute participation financière. Il nous a signifié que nous devions nous adresser à lui en premier lieu pour toute démarche concernant son fils, mais qu’il fallait envisager les questions financières avec sa femme. Or, nous avons eu le « tort » de nous adresser à celle-ci dans un premier temps, ce que le chef de famille n’a pas apprécié. Il n’est pas sans dire que la place de la femme pose question dans ce contexte et que le jeune n'est pas sans souffrir de la place de sa mère au sein de la cellule familiale.
Nous avons abordé ce sujet en réunion d’équipe, les travailleurs sociaux ayant avant tout le souci de s’adapter envers et contre tout aux « différences culturelles », le psychologue, soutenu par les travailleurs sociaux étrangers à la situation, nous a alors fortement suggéré de nous excuser auprès du père de l’enfant. Dans la mesure où c’est moi qui avait été en contact téléphonique avec M. et que je suis une femme, il était préférable que ce soit un collègue homme qui prenne le relais et présente en quelque sorte ses excuses pour moi. Il aurait suffit de dire quelque chose comme "veuillez l'excuser, elle ne connaît pas le protocole à adopter pour s'adresser à votre Majesté !". L'hypothèse que M. pouvait ne pas avoir apprécié la permission que j'avais pu m'accorder (en tant que femme) de m'adresser à lui avec "tant de liberté" planait comme un non dit oppressant autour de la table de réunion. La démarche conseillée me paraissant plus que douteuse en terme de respect et éducativement contre productive, (n'est-il pas en effet intéressant d'adresser le message à Sissé que les rapports homme-femme et les relations familiales en général peuvent s'inscrire dans d'autres possibles ?) je me suis permise d’exprimer ma non adhésion à cette perspective. Et puisque je suis un être extrêmement autoritaire, aucun collègue masculin n’a eu le courage d’aller à mon encontre ! Où plus sérieusement, le contexte ne manquant pas d’instaurer un certain malaise, la mise fût de ne prendre aucune position éducative, soit de ne rien faire. La question que me suis permise de soulever en fin de réunion demeurait lettre morte : "Et si un parent blanc refusait d'avoir à faire à un collègue éducateur de couleur noire, irions-nous également dans son sens, par respect de son "essence" ?".
Enfin, pour revenir à notre situation, nous n’avons pas recontacté le père de l’enfant qui par ailleurs me l’avait demandé lors du dernier échange téléphonique. « Ne m’appelle plus !» avait-il dit irrité, en raccrochant.
A cette étape, il devenait important d’un point de vue éducatif de signifier à l’adolescent que nous n’étions pas en mesure d’aller au-delà de la volonté de son père. Nous avons pu travailler dans ce contexte la question de la responsabilité des parents, discours important puisque beaucoup de ces jeunes se situent dans une pensée toute puissante, se perdant parfois dans l’idée qu’ils seraient seuls décideurs de leur vie. Or c’est bien dans cet état d’esprit que l’adolescent s’est situé dans un premier temps, il ne semblait pas comprendre la nécessité d’obtenir l’accord de son père pour partir et disait faire fi de cette situation. Quoi qu’il advienne, il partirait ! Nous avons poursuivi ce travail d’acceptation avec lui durant plusieurs jours, l’adolescent a finit par nous dire qu’il lui était très pénible d’envisager de parler à un père qu’il disait ne pas aimer. Sissé et son père ne semblaient avoir aucun dialogue. Nous avons tout de même finit par convenir ensemble que la seule solution passait bien par un échange entre lui et son tuteur et que sans cela et sans l’accord du père, le jeune ne pourrait participer au séjour.
Les autres membres du groupe n’étaient pas au courant de cette situation. Sissé était l’initiateur du séjour et il est à noter qu’il a une véritable place de leader au sein du groupe. Il se fait respecter par la peur et l’intimidation, générées elle-même par sa violence. Nous pensions que le groupe, face à l’annonce du non départ de Sissé pouvait prendre la décision d’annuler le séjour. Quoi qu’il en soit, il semblait important que cette annonce se fasse au minimum en présence de Sissé.
L’annulation du séjour
Nous étions à une semaine du départ. La situation de Sissé n’avait pas évoluée et malgré nos relances téléphoniques auprès des parents et verbales auprès des jeunes, nous n’avions pu rencontrer que deux familles sur six. Les jeunes continuaient à s’inscrire dans une certaine nonchalance face à cet état de fait. La rencontre avec leur parent et la remise de l’autorisation écrite de ceux-ci semblaient être un point de détail pour les jeunes qui pensaient même peut-être pouvoir s’en passer. Cette situation permet de réaliser à quel point certains d’entre eux vivent dans le leurre d’une autonomie.
Nous faisons un point de cette situation avec notre chef de service et nous convenons ensemble d’annuler le séjour. Il semble en effet difficile de pouvoir rencontrer les familles dans de bonnes conditions en cinq jours. Nous envisageons de rester disponibles pour ce groupe à la période prévue pour le séjour, afin de leur proposer des sorties à la journée, activités qui ne nécessitent pas de rencontrer les parents. Nous appréhendons cette nouvelle étape comme une occasion éducative de travailler la question de l’autonomie et de la responsabilité.
L’annonce de l’annulation suscite un véritable étonnement au sein du groupe. Ils expriment leur mécontentement en quittant le local mais reviennent un peu plus tard pour mieux comprendre. Nous reprenons toutes les étapes avec eux en espérant les amener à une certaine prise de conscience. Ils n’expriment pas de véritable opposition ni de colère. Les jours suivants sont de nouvelles occasions pour parler du « pourquoi » et « comment ».
Les perspectives
Nous sommes, comme convenu, restés disponibles, pour le groupe à la période des vacances. Il avait été dit que nous souhaitions partir de leur demande pour quelque projet de sortie à la journée. Ils ne se sont pas saisis de cette proposition.
Nous travaillons avec eux, depuis, la possible réouverture de la permanence informatique, sur de nouvelles bases en termes de relation (nous faisons référence ici à la violence et au respect) mais aussi à partir de nouveaux supports éducatifs, qui permettront, nous l’espérons de s’inscrire dans une dynamique plus constructive.
Isabelle Buot-Bouttier.
Bonjour,
Passons d'une conception de projets hermétiques à une perspective interculturelle.
Je propose qu'on réfléchisse à un séjour en langue arabe,langue étrangère sur notre région ,Taza,au nord du Maroc.Une visite de circuits touristiques est envisageable.
Je reste à votre disposition pour tout complément d'information.
Rédigé par : El yaagoubi ahmed | 17/06/2006 à 12:43
Bonjour,
Je ne saisis pas bien votre proposition, pourriez-vous éclairer vos propos ?
Au plaisir.
L'EDUC.
Rédigé par : L'EDUC | 18/06/2006 à 01:13
je suis désolée, mais je ne comprends pas comment on peut dire "je me suis permise" (le "me" n'est pas COD, donc, pas d'accord du participe !)
c'est une bêtise façon prof (que je ne suis pas et ne serai jamais !) que je me suis permise !
Rédigé par : vieille dame | 07/07/2006 à 02:22