Un Rapport de l'Assemblée Nationale, élaboré dans le cadre de la mission d'information sur la famille et les droits des enfants, en 2006, tenait à peu près ce langage :
"Lorsque l'on parle de la « crise » de la famille, on se réfère à une famille considérée comme traditionnelle, qui serait la famille nucléaire composée du père, de la mère, unis par le mariage, et de leurs enfants légitimes. Or cette forme de famille est avant tout un fruit de l'histoire et de la culture occidentale.
M. Robert Neuburger1*présente comme une exception culturelle « la famille actuelle, la famille " conjugale ", selon le terme de Lévi-Strauss, et que j'appelle la famille " PME " - père, mère, enfant ». Il rappelle que « plus on remonte dans le passé, moins on trouve ce type de famille, y compris dans le passé français, puisque, en France, le modèle a longtemps été celui de la famille paysanne, structurée autour d'un patriarche et s'élargissant par foyers. L'enfant était élevé au sein d'un groupe élargi, et non pas par deux parents ».
M. André Burguière2*partage cette conception : « Tous nos jugements sur l'état et les problèmes actuels de la famille - par exemple quand nous parlons de " déclin " ou de " crise " de la famille - se réfèrent à un long passé de stabilité plus ou moins mythique ». Il estime que « en tant qu'officialisation d'une alliance entre un homme et une femme, mais surtout entre deux familles, (...) le mariage existe dans pratiquement toutes les sociétés », mais qu'il n'a, en Occident, été valorisé et favorisé par l'Église qu'à partir du XVe siècle, « comme moyen d'arracher l'individu à l'insécurité et à la solitude ». L'Église insistait alors sur la donation réciproque et le libre consentement des conjoints, qui prenaient corps dans l'auto-administration du sacrement du mariage. Au siècle suivant, l'État, inquiet du développement des mésalliances permises par les « mariages clandestins » fondés sur l'amour, imposait un contrôle étroit des familles sur le choix des époux, tandis que l'Église entreprenait d'enfermer la sexualité dans la sphère conjugale, ce dont atteste la quasi-disparition des naissances illégitimes à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle.
Si les fondements de la famille « classique » étaient ainsi en place, le modèle familial de l'époque moderne n'était pas celui dont on regrette aujourd'hui l'effacement. L'autorité du père y était toute puissante, y compris dans le choix du conjoint, et limitait l'autonomie des individus. La mortalité infantile, qui a longtemps freiné l'attachement des parents à leurs jeunes enfants, ne s'est réduite que très progressivement.
Les familles de cette époque ne présentaient pas vraiment une plus grande stabilité que celles d'aujourd'hui, tant le décès d'un parent et le remariage du survivant y étaient fréquents. Il n'était pas rare qu'un homme ait successivement plusieurs épouses et que des enfants de plusieurs lits cohabitent, avant que les aînés orphelins soient éparpillés parmi d'autres membres de la parenté. Si les causes de ce phénomène étaient très éloignées de celles à l'origine des familles recomposées d'aujourd'hui, ce type de cohabitation était alors relativement fréquent, les pères de famille se remariant très rapidement après un veuvage afin qu'une femme puisse prendre soin de leurs enfants (et de leur maison).
Force est ainsi de constater qu'il n'y a pas à proprement parler un modèle de famille occidentale classique, ce qui conduit Mme Martine Segalen (3*) à rappeler que si, depuis deux siècles, on pense toujours que la famille est en crise, « en réalité cette institution multiple et changeante ne court pas plus de danger aujourd'hui qu'hier », et que « l'image de la famille occidentale heureuse et stable est un mythe »."
Une preuve de plus qu'il faut savoir choisir ses lectures et que les médias de vulgarisation sont les rois de l'ineptie. A quand un ça se discutte sur "la crise de la famille" ?
L'EDUC.
Source : Rapport de l'Assemblée nationale (n° 2832 tome 1, XIIe législature), fait au nom de la mission d'information sur la famille et les droits des enfants par M. Patrick Bloche, président, et Mme Valérie Pécresse, rapporteure, février 2006.
* 2 Historien, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
* 3 Sociologue, professeur à l'université Paris X.
Article riche et "fouillé".
J'ai envie envie de dire que ce qui est "en crise" c'est :
- le fond/valeurs que souhaite donner/apporter la "famille" d'aujourd'hui
- la notion même de "famille" qui s'élargit à un systeme groupal ou tribal de proximité au niveau relationnel (qui dépasse le trio PME)
--> Nous sommes en fait de plus en plus en interaction au sein de ces micros systemes familiaux/amicaux/"idéologiques, qui réunis, forment la société française
=> pour faire de nos enfants des adultes éclairants et éclairés, nous cherchons à offrir des références (un cadre que certaines familles ont du mal à fixer car dans un temps présentiel alterné etc.) mais aussi les comportements/usages qui permettent une faculté d'adaptation tant corporelle, émotionnnelle, psychologique que cognitive dans un monde d'aujourd'hui qui n'existera plus demain ...
@Tony
Rédigé par : Tony | 11/10/2007 à 17:54