Je rencontre Goné pour la première fois la semaine dernière. Elle vient très rarement au local de l'équipe qui par ailleurs suit régulièrement deux de ses petits frères. Goné se présente à l'atelier recherche d'emploi que nous menons le mardi matin, sa demande est une simple retouche de son C.V. Goné est discrète, même effacée. Elle ne veut pas déranger plus que de mesure. Je m'assieds près d'elle tandis qu'elle attend qu'un ordinateur se libère. Nous faisons connaissance. Goné a dix-neuf ans, elle a arrêté l'école au collège, elle n'a pas de qualification. La jeune femme recherche un emploi depuis deux ans, elle ne saisit pas bien pourquoi elle n’en trouve pas. Je décide de lui parler de son projet de vie.
Goné est mariée, elle a un petit garçon de 8 mois. Elle vit en banlieue parisienne avec son mari qui occupe un emploi de vendeur. La nécessité de travailler pour Goné ne se situe donc pas dans une urgence vitale mais disons plutôt dans une recherche de confort et d'équilibre. La jeune femme peut donc se permettre de prendre le temps nécessaire à sa recherche d'emploi. C'est pourquoi je fais le choix de m'inscrire avec elle dans un travail de profondeur. Il me semble en effet que nous répondons peut-être trop souvent au demandes "de façade" des jeunes, notamment en termes de recherche d'emploi ; or bien souvent, ils ne vont pas au-delà d'un premier rendez-vous, lorsqu'ils viennent, et se découragent très vite devant l'étape de la lettre de motivations. Je crois, face à ce constat que nous devons nous questionner sur la manière dont nous les accompagnons dans ce processus. Il semble que la parole et l'encouragement, aussi bienveillants et authentiques soient-ils, pourraient ne pas être suffisants.
Je demande à Goné pourquoi elle cherche du travail. Elle est surprise par la question mais finit, face à mes reformulations, par se prêter au jeu. Nous parvenons ainsi, après un certain temps, à définir et à coucher sur papier les objectifs de la jeune femme face à sa recherche d'emploi. Pouvoir faire des cadeaux à son fils, partir en vacances, se sentir utile, être fière d'elle, rechercher un appartement plus grand, sont quelques uns des objectifs de Goné qui émergent de ce travail. Sur la feuille, nous représentons ces objectifs comme les branches d'un arbre. Puis à la base, le tronc, nous notons le moyen d'atteindre ces objectifs : trouver un travail. J'explique à Goné que le tout forme son projet de vie. Trouver un travail devient donc un moyen pour Goné d'atteindre ses objectifs de vie dont certains sont très forts pour elle en termes émotionnels. La jeune femme, plutôt fermée à son arrivée, laisse peu à peu son corps s'ouvrir et offre un visage de plus en plus lumineux au fil de notre travail. Il était évident que ces objectifs faisaient partie d'un intérieur qui avait toute les chances d'être moteur pour la jeune fille. Son émotion était palpable et j'étais émue de ce qu'elle venait de livrer d'aussi intime. Après cette étape, je lui demande de me parler du métier qu'elle aurait voulu ou voudrait exercer. Elle ne s'accorde pas le droit de le dire tant elle s'est dotée de représentations négatives face à ses capacités. J'insiste, elle finit par confier qu'elle aurait voulu travailler auprès d'enfants dans des crèches. Le projet me paraissant tout a fait réaliste et réalisable, je tente de travailler avec elle la question de ses propres représentations. Pourquoi ne serait-il pas possible pour elle d’exercer ce métier ? « Le niveau d'étude » me répond t’elle. Je lui demande si elle s'est déjà renseignée, "non" me dit-elle, "mais je le sais". Il est nécessaire, pour que nous puissions continuer que Goné accepte de croire, ne serait-ce qu'un peu, à la possibilité de réalisation de ce désir. Je fais des tentatives : "Pourquoi les autres et pas toi ?", j'insiste sur le fait que tant qu'elle ne sera pas allée vérifier la validité de son désir, l'idée qu'il n'est pas possible de le réaliser reste une représentation et non un fait concret. Il me semble après un certain temps qu'elle s'accorde le droit de croire. Je saisis cette forme de brèche pour lui demander de réfléchir aux moyens qu'elle serait prête à mettre en place pour atteindre ses objectifs de vie. Je suis un peu plus directive, et j'oriente mes questions de manière à l'amener à penser à une formation. Cette méthode présente un risque, celui d'aller trop vite, celui de vouloir à sa place mais mon idée est de tenter de consolider le plus d'étapes possibles dans ce travail que nous faisons ensemble de manière à ce qu'il fasse suffisamment sens chez Goné pour qu'elle revienne. La jeune femme semble adhérer à l'idée de se former. Consciente que le tout peut n'être qu'un château de carte qui pourrait s'écrouler dés la porte du local franchie, je fais à nouveau référence aux objectifs de vie de Goné, notamment ceux qui s'inscrivent autour d'une certaine narcissisation : « être fier, être plus considérée par son entourage ». Je parle ensuite du marché de l'emploi et de la restriction de ses possibilités sans formation, j'évoque les métiers les plus ingrats. L'idée est que la jeune femme soit convaincue de la nécessité de se former.
A la fin de ce long travail, je propose à Goné de téléphoner à la mission locale, l'A.N.P.E des jeunes, afin de prendre rendez-vous pour évoquer la mise en place concrète de son projet. Elle le fait avec conviction. Un rendez-vous est pris pour le vendredi de la même semaine. Je lui propose de l'accompagner à ce rendez-vous. La jeune femme accepte. Nous nous quittons sur cette proposition.
Le vendredi, Goné sera présente au rendez-vous. Un long travail peut commencer. Je suis confiante, comme il est toujours important de l'être dans ce type d'accompagnement mais je ne peux rien présager, c'est ce qui fait la difficulté et la richesse du travail avec l'humain. Toutefois, je suis très satisfaite de cette première expérience de travail vers la conduite du changement avec un jeune. Il se trouve en effet que la technique principale utilisée au cours de cette première entrevue avec Goné est celle du coaching. Cette expérience me conforte dans le vif désir de travailler autour de la mise en application de cette technique dans le secteur éducatif.
L'EDUC.
Bonjour !
Bravo encore pour ce beau texte, témoignage très riche du quotidien de l'éducateur, dans cette rencontre avec l'autre...
Vous dire que le questionnement que vous évoquez nous amène à questionner notamment la question du temps, du tempo de l'acte éducatif: Quel rythme; le sien, le nôtre?
Nous sommes souvent tiraillés entre ces différences ...
Vous dire aussi que j'aborde en ce moment ce questionnement sur mon blog à travers la différenciation entre acte éducatif, action éducative, et agir, j'ai pu également en discuter avec Joseph Rouzel et j'aimerai bien avoir votre point de vue !
Enfin, votre texte est celui de la rencontre, rencontre entre deux personnes, entre deux imaginaires, deux conceptions du monde, c'est celui du lien qui se crée dans la relation éducative, de l'éthique dans la relation à l'autre ... encore bravo !
Rédigé par : jean-Michel ZEJGMAN | 22/04/2006 à 09:28
Merci pour votre présence régulière et votre apport. Je ne manquerai pas de me pencher sur votre dernier écrit et tenterais d'y apporter mon humble contribution.
L'EDUC
Rédigé par : L'EDUC | 23/04/2006 à 19:54
Je serais curieuse de savoir comment son projet a été reçu à l'ANPE et comment s'est donc passé ensuite le deuxième rendez-vous avec vous...
Rédigé par : Le Monolecte | 20/05/2006 à 21:05