Grand-mère a dit : "Il est mauvais, il tient ça de son grand-père, ils ont ça dans le sang dans cette famille". C'était lors de ma dernière visite dans le petit village de grand-maman. Mamie parlait de quelqu'un de la famille. Elle croyait dur comme fer que l'homme en cause tenait ses problèmes de violence et d'alcoolisme de son propre grand-père, lui-même effectivement très violent et "porté sur la bouteille".Je ne suis pas parvenue à convaincre grand-mère du contraire. Il faut du temps pour altérer sa manière de penser. Et puis grand-maman est une "petite vieille vestige de la génération "gènes du mal".
Les "tares génétiques" représentent une sorte de croyance qui remonte jusqu'à l’Antiquité : "Chez Hippocrate, le corps est constitué à partir de différentes humeurs. Chaque partie du corps (tête, bras, etc.) envoie aux organes génitaux un échantillon de ses humeurs constitutives pour former les semences. Après la fécondation qui mélange les semences, les humeurs provenant de la tête des parents forment la tête de l'enfant, celles des bras des parents, les bras de l'enfant, etc. Celui-ci, construit à partir d'un échantillon représentatif des humeurs de ses parents, présentera donc les mêmes caractères qu'eux." *
Des siècles plus tard, "le darwinisme se développe et comprend toute une dimension sociale. La révolution industrielle s'est accompagnée d'une urbanisation et d'une prolétarisation de la population, avec tous les maux inhérents (contagion, maladies mentales, alcoolisme, déviances sociales et sexuelles, etc.). On va alors expliquer tout cela par une dégénérescence due à l'absence de sélection naturelle (théorie chère à Darwin), et proposer de le résoudre par l'eugénisme (théorisé à cette époque par le cousin de Darwin, Francis Galton).
L'hérédité pathologique est ainsi massivement appliquée à ces maux, par l'intermédiaire de la notion de prédisposition héréditaire : prédisposition à la tuberculose ou autres maladies infectieuses, mais aussi et surtout prédisposition aux maladies mentales, à l'alcoolisme, aux déviances sexuelles, aux comportements asociaux, etc. L'hérédité psychologique et comportementale envahit ainsi le terrain..." *
"Il est né comme cela" est une théorie rassurante pour qui la proclame, car elle permet de faire l'économie de la douleur d'une remise en question personnelle. En effet, si un enfant n'était finalement pas "né comme cela", alors il se pourrait bien que ce soit la rencontre avec son environnement (parents, familles, écoles, amis, voisins, culture, lieu de vie, etc..) qui l'ait amené à "être comme cela". Nous sommes là au coeur d'un débat passionnant, celui de l'inné et de l'acquis. Qu'est-ce qui existe chez un être dès la naissance et qu'est-ce qu'il a construit (de manière aussi consciente qu'inconsciente) au fil de son expérience de vie ?
Je serais ravie d'un échange sur le blog avec des professionnels de la médecine et plus particulièrement de la génétique. Je n'ai pas de compétences dans ce domaine aussi, je ne me permettrai pas de m'y exercer. Les commentaires de ces spécialistes sont donc les bienvenus, tout comme les autres bien entendu.
Pour ma part, et donc d'un point de vue éducatif, il est toutefois des certitudes : seuls les cas de maladies physiologiques repérées et diagnostiquées sur un plan médical permettent de parler d'un caractère inné (mais pas nécessairement héréditaire) du comportement d'un être. En dehors de ce particularisme, il n'est pas grand-chose d'inné, et surtout d'héréditaire, si ce n'est une couleur de cheveux, de peau, des problèmes dentaires ou d'eczéma.
Alors comment expliquer, la situation de l'homme et de son grand-père, tous deux ayants des problèmes d'alcoolisme et de violence à l'égard d'autrui (l'histoire de grand-maman citée plus haut) ? De manière un peu schématique, il me vient un mot pour définir cette situation : la répétition.
La répétition est une sorte de virus éducatif qui, si l'on n'y prend garde, se transmet de manière insidieuse d'une génération à l'autre. La chose transmise est le "paquet" auquel je fais référence dans la note intitulée "la vocation". Le paquet est un poids de douleurs dont chacun tente de se débarrasser à sa manière (alcool pour oublier, se croire plus fort, trouver le courage de faire, de dire ; violence pour "exorciser" un mal qui ronge de l'intérieur, pour tenter de s'apaiser, de se venger, ou se soulager). Chacun "choppe" sa tentative, de manière très souvent inconsciente ; ensuite, il se débat avec, dans une sorte de marasme de désespoir.
Souvent, il est jugé, étiqueté : "alcoolique", "violent", "fou", "fainéant", et parfois, il n'a pas la force nécessaire pour faire face à cette difficulté supplémentaire : cette manière négative, dévalorisante dont il est perçu par autrui. Il se peut alors qu'il fasse en sorte de donner véritablement raison au jugement et qu'il finisse (toujours avec une certaine inconscience) par devenir résolument ce "fou" ou ce "violent". Comme cela, il n'aura plus à se chercher, son statut est établi et bien qu'il soit très douloureux, c'est un statut avec lequel il sait composer, par habitude.
La base de tout cela ? Une identité fragile, un manque de confiance en soi incommensurable, l'impression de ne rien être.
La cause ? rien d'inné dans cela, il s'agit de la rencontre entre la singularité de l'être et son environnement. L'idée n'est pas de culpabiliser l'environnement mais de comprendre. Des difficultés, incompréhensions, non-dits, croyances, puis des souffrances (souvent de part et d'autres) ont émergé de cette rencontre. Le seul intérêt de s'y pencher est de tenter de les dépasser.
La solution ? Une nouvelle rencontre. L'être dépressif, violent, drogué, ou présentant tout autre forme de comportement asocial est avant tout un être qui souffre. Ce constat ne légitime pas ses actes, s'il porte atteinte à autrui, il doit être jugé pour cela. La souffrance ne donne pas de droits, notamment sur autrui. Toutefois, cette personne en difficulté a aussi un potentiel : celui de ne plus souffrir, ou tout au moins plus comme avant. Cela, on ne peut que le souhaiter, tout d'abord dans son propre intérêt mais aussi dans celui de son environnement.
La solution disais-je donc ? Une nouvelle rencontre. Un partage avec une personne qui portera un regard différent sur l'être, une personne qui croira en lui, tout simplement ; qui lui laissera le temps, celui de se réparer, celui d'aller trouver en lui les ressources dont il ne soupçonnait même pas l'existence.
Toutefois, tout n'est pas si angélique qu'il n'y paraît. En effet, Il est probable que l'être, dans un premier temps, ne soit pas plaisant avec ce "nouveau regard". On appelle cela "tester". Il pourra alors tout faire pour le décourager, voire l'écoeurer ; l'idée est d'amener le "nouveau regard" à la conclusion suivante : "finalement l'être est bien comme on me l'avait dit, il ne changera pas". Si le "nouveau regard" tombe dans ce piège tendu par l'être, ce dernier continuera sa phase de destruction et se couvrira d'une nouvelle couche de mauvaise pensée : "une preuve de plus que je ne suis rien, que je ne mérite pas le droit d'exister, etc..".
Pourquoi un tel comportement de l'être face au "nouveau regard" ? Parce que lorsque le sentiment d'infériorité ou d'illégitimité est ancré de manière forte chez un être, il est très probable que ses racines remontent à la petite enfance et/ou à l'adolescence. L'être a eu ce sentiment de "ne pas avoir suffisamment de valeur" auprès d'un proche qui a compté pour lui. Il a grandit, et s'est construit avec ce sentiment. Or, l'enfant ne peut envisager que son parent puisse avoir tord, le parent est un repère, un phare dont le gamin a besoin pour naviguer. Aussi, lorsque l'enfant a le sentiment de ne pas exister, de ne pas être à la hauteur, de ne pas être digne d'être considéré, en un mot de ne pas être suffisamment aimé. Alors le gamin pensera que le parent a ses raisons et il les légitimera pour rendre la situation supportable. Parfois, il pourra se perdre dans une lutte permanente pour connaître "le sentiment" d'être enfin reconnu et aimé ; c'est dans ce contexte que certains jeunes mettent une sorte de point d'honneur à avoir les meilleurs notes à l'école ou à faire les meilleures études puis à trouver le meilleur poste afin d'être enfin reconnu par papa, maman ou grand-père. Ces luttes conduise ment couvent à l'épuisement et à la déception, voire la colère (et peut-être même la violence). Mais je m'éloigne un peu du sujet.
Revenons à l'idée suivante : l'enfant a besoin de donner raison à son parent. Aussi, "s'il pense que je suis mauvais, alors je suis vraiment mauvais". L'enfant peut alors prendre le travers de devenir comme il se sent perçu, c'est à dire "mauvais". C'est une sorte de cadeau que l'enfant fait à son parent : "je suis comme tu me vois". "Tu ne te trompes pas, tu as raison, tu es juste." C'est peut-être là, la pire des voies que l'enfant peut emprunter car ce chemin mène au masochisme, il conduit l'enfant puis l'adulte à ressentir un certain plaisir à se faire du mal et ce, en guise d'offrande-sacrifice faite au parent.
Plus tard, à l'âge adulte, c'est tout cela qui se rejoue lorsque l'être rencontre le "nouveau regard". L'être lutte, car le "nouveau regard", par son attitude, à travers la croyance qu'il met dans le potentiel de l'être, ce "nouveau regard" remet donc tout simplement en cause le positionnement du parent de l'être. L'être, lorsqu'il était enfant avait le sentiment de ne pas être reconnu au près de son parent. Il se peut alors qu'il ait fini par accepter cet état de fait et par se percevoir, lui-même, comme ne méritant pas d'être reconnu. Le "nouveau regard", est donc une nouvelle forme de pensée qui bouscule la vie de l'être et l'amène à remettre en cause son parent. "Si il est possible que je sois digne d'être reconnu, alors mon parent avait tord ?" : l'être, les premiers temps, est incrédule, il ne veut et ne peut y croire, il reste persuadé que le "nouveau regard" finira bien lui aussi par penser comme le parent et tous les autres. C'est pourquoi l'être teste le "nouveau regard", ne le ménage pas, le pousse dans des retranchements. Il "farfouille" ses limites.
Si le "nouveau regard" cède, l'être poursuit sa descente dans la destruction. S'il résiste et reste, l'être pourra commencer à apprendre à s'aimer, tout simplement.
Le "nouveau regard" peut-être un thérapeute, c'est alors un professionnel, mais il peut-être aussi une rencontre aux épaules solides qui croisera le chemin de l'être et aura envie de se poser près de lui. La situation idéale pour l'être est une rencontre avec les deux formes de "nouveaux regard". La recette finale, c'est le temps.
L'Educ
* André Pichot, propos recueillis Par Muriel Valin, dossier "l'hérédité"- Revue "Sciences et vie", Hors-série, n° 230 - mars 2005
Pour en savoir plus :
- André Pichot, Histoire de la notion de gène, Flammarion-Champs, 1999
- Alice Miller, C'est pour ton bien, Aubier, 1984
C'est de l'héritage culturel (cf: bourdieu et J-C Passeron parle de "reproduction" dans le contexte de la réussite scolaire (... reproduction sociale, le fils de cadre à plus de chance de devenir cadre que l'ouvrier puisqu'il hérite...). L'homme est comme la plante, une graine (l'iné) et du terreau (l'acquis) pour se développer; le code génétique de l'enfant à beau etre excellent, si l'environnement ne lui permet pas d'etre stimulé (de développer ses schèmes d'action) ce ne sera qu'une fleur fanée... et donc réciproquement (une mauvaise graine et du bon terreau); l'enfant ne nait pas bon ou mauvais (dans la conception catholique il nait mauvais et doit se laver de ses péchers; pour Rousseau ou les chinois il nait bon et risque de devenir mauvais), il est programmé (éduqué) à le devenir ("bon" ou "mauvais", c'est un peut manichéen comme vision mais bon), et selon ses caractèristiques biologique il va réagir plus ou moins différemment;
maintenant prennons le cas de michael jackson (je ne suis pas un grand fan, mais ça marche avec des tas d'artiste différents,et sur le moment je n'avais rien d'autre à l'esprit) qui était battu (et plus encore) par son père et qui est devenu une des plus grande start (c'est relatif) pop de ces 20 dernières années: une bonne graine qui à réussi à s'extraire d'un fumier acide pour donner une belle (artistiquement parlant) plante.
la maladie de l'hospitalisme* montre l'importance de l'environnement dans le role du développement cognitif de l'enfant. un bébé est capable de se laisser mourir... si il n'a pas la possibilité de se stimuler (de se "programmer") et de recevoir des stimulis exterieurs.
* selon SPITZ, le terme "hospitalisme" recouvre "l'ensemble des troubles physiques dus à une carence affective par privation de la mère survenant chez les jeunes enfants placés en institution dans les dix-huit premiers mois de la vie."
C'est un état d'altération physique grave qui s'installe progressivement chez le très jeune enfant suite à une carence affective importante tandis qu'il est placé en institution.
- Si l'absence de la mère survient après 6 mois alors qu'une certaine forme de relation s'est déjà établie avec elle, mais sans que l'identification à une image stable soit encore possible, on verra s'installer une inhibition anxieuse, un désintérêt pour l'extérieur traduisant une dépression anaclitique. Cela pourra disparaître si l'enfant retrouve sa mère.
- Si la carence affective est totale et prolongée, les troubles iront jusqu'au marasme voire la mort.
Rédigé par : Cyril Garbe | 13/05/2006 à 22:26