Yorn, le 28 février 2006 a déposé un commentaire sur L'EDUC. Il exprimait ses inquiétudes face au contexte sociétal et politique actuel. Il évoquait la tache des travailleurs sociaux dans ce "climat".
Je souhaite proposer ici, une forme de réponse au commentaire de Yorn en élargissant la thématique de la manière suivante : Quid de l'échange entre le travailleur social et le citoyen aujourd'hui ? Le thème est large, l'écrit qui va suivre a deux prétentions : susciter le débat et s'orienter vers des propositions, sortes de pistes de réflexion.
Je me permettrai de reprendre une idée exprimée par Yorn afin de débuter mon propos : "Le populisme (fascinant) actuel n'aime pas le travailleur social".
Je partage le sentiment de Yorn, le travailleur social n'est probablement pas très apprécié par un grand nombre et cela très certainement parce que son travail est mal connu et donc mal compris (c.f. la note sur le thème de la vocation). Mais les travailleurs sociaux ne doivent-ils pas se remettre en cause face à ce constat ? Peut-on dire que nous communiquons suffisamment sur "qui nous sommes", "quelles sont nos actions", "nos outils". Le travailleur social n'a-t'il pas tendance à "penser" sa pratique dans une sphère un peu trop enclavée ? Les travailleurs sociaux échangent, pensent, réfléchissent, analysent, entre eux. Parfois ils communiquent à l'attention des pouvoirs publics, mais qu'en est-il de l'échange entre le travailleur social et le citoyen ? Ou sont les carrefours de débat et d'échange ? Sont-ils satisfaisants à ce jour ? Avons-nous décidé de nous approprier à tout jamais le thème de l'éducation ? N'avons-nous pas un devoir de partage avec la société au sens large du terme ?
Dans un deuxième ordre d'idée, je fais trop souvent le constat sur le terrain d'une surprotection du travailleur social face à l'usager. Dans le contexte du travail dans la rue et de l'intervention d'éducateurs auprès de populations de quartiers en difficultés, il est une idéologie dominante qui ne me parait pas toujours aller dans l'interêt des jeunes accompagnés mais également dans l'intérêt de la société. En effet, je ne dissocie pas ces deux aspects qui ne me semblent pas pouvoir aller l'un sans l'autre. Un jeune, quel qu'il soit, est issu d'une société et "la bonne santé" des deux parties dépendent chacunes l'une de l'autre.
Or, il me parait qu'un certain nombre d'éducateurs de rue se perdent dans une lutte de protection des jeunes. Le combat, dans ce contexte devient la société jugée maltraitante vis à vis de ces jeunes. C'est dans ce contexte de pensée que certains éducateurs de prévention spécialisée estiment que les jeunes ont eu raison de mettre le feu aux batiments en Novembre dernier. Et le positionnement de collègues devenait alors à mon sens dangereux sur le terrain. Je n'irai bien sur pas prétendre que des travailleurs sociaux ont inscité les jeunes à mettre le feu mais le discours implicte qui consiste à dire "je comprends pourquoi tu l'as fait" est suffisant pour convaincre les jeunes que leur attitude était la bonne. Le discours des gamins avec lesquels je travaille (qui à ma connaissance, n'ont pas participé aux émeutes) était à ce propos : "mettre le feu, il n'y avait que cela à faire !". Or, les travailleurs sociaux n'ont-ils pas la responsabilité d'insuffler une dynamique créative et surtout constructive auprès des jeunes qu'ils accompagnent ? Pouvons-nous le faire avec suffisamment de force lorsque l'on pense que le gouvernement, la police et au sens large, la société, leur veut du mal ?
Il est entendu que cette fameuse "société" a sa part de responsabilité dans la situation actuelle des quartiers en difficultés. Au-delà de tout discours politique, cet énoncé reste indéniable. Les quartiers sur lesquels mes collègues et moi intervenons sont des sortes de poches de difficultés : sociales, psychologiques, éducatives ; chaque difficulté induisant malheureuseument l'autre. Et c'est bien une politique sociétale d'attribution de logement qui a amené à faire vivre ensemble trop de personnes rencontrant des difficultés sociales. Nous sommes bien dans des situations de "ghettoïsation". Les gamins de ces ensembles, quant à eux, sont scolarisés dans un même établissement scolaire puisque sectorisés sur la même école. Or, certains parents n'étant pas en mesure de suivre la scolarité de leur enfant et l'école n'étant probablement pas préparée à accueillir ces "ballons" de difficultés, un trop grand nombre se retrouve assez tôt en échec scolaire, et lorsqu'un gamin ne parviens pas à suivre en classe, il présente alors rapidement des problèmes de comportement, qui eux-même entraînent des exclusions, au départ temporaires, puis définitives. Une fois le jeune rescolarisé dans un autre établissement, la problèmatique, si elle n'est pas appréhendée à sa source, reste souvent la même et le jeune sort du circuit scolaire parfois même avant 16 ans. Je ne m'étendrai pas sur les conséquences de cette situation quant à l'étape de recherche d'emploi qui suit pour cette jeune personne, elles sont évidentes.
Les familles auprès desquelles mon équipe intervient étant très majoritairement d'origine étrangère, je constate qu' aux problèmes sociaux, viennent se greffer des questions culturelles, telles que la mauvaise maitrise de la langue, la connaissance non suffisante des us et coutumes de la France, ou encore des aspects culturels du pays d'origine. Ces aspects peuvent aggraver la situation précaire de la famille ; parfois, ils sont sources de souffrances supplémentaires pour le ou la jeune. Parmi ces derniers on peut noter le choix que la femme ne travaille pas, ce qui induit des possibilités de ressources divisées par deux ; la polygamie qui, bien qu'interdite en France, existe toutefois et entraine une suroccupation de logements (plusieurs femmes, parfois en situation précaire, et plusieurs enfants dans un même appartement), puis les situations de mariages arrangés et forcés au pays d'origine.
Quel intérêt de préciser ces aspects ? va-t'on certainement me reprocher. Certains iront peut-être me suspecter d'alliance possible avec, au minimum un courant politique de droite, voire d'extrême droite. A cela je répondrai ceci : ma pensée la première est que la diversité sociale et culturelle est une véritable richesse dont chaque nation a besoin. Toutefois, la France d'aujourd'hui rencontre certaines difficultés d'ordre social dont je faisais état plus haut avec aussi parfois une dimension culturelle qui est loin de tout résumer mais qui souvent est contestée dans une société ou finalement la langue de bois est de rigueur. La peur semble trop souvent régir nos paroles et nos actes en ces temps modernes.
La citoyenne et la professionnelle que je suis est inquiète quant à la société de demain, celle de nos gamins, tous quartiers confondus. Or, je pense que pour tenter d'apporter des réponses concrètes, il faut avant cela pouvoir définir la problématique de manière tout aussi concrète. L'aspect culturel n'est bien entendu qu'un des aspects de la problématique de certains quartiers. J'en parle ici parce qu'il existe sur le terrain de mon lieu d' intervention et surtout parce-qu'il est nié par certains collègues. Ce qui oriente donc, d'une certaine manière mon discours.
Mon propos se résume donc à cela : tenter un diagnostic réel afin d'entrevoir la possibilité de mettre en place des solutions adaptées.
Dans ce contexte, les éléments qui fachent, ceux que certains travailleurs sociaux refusent farouchement d'accepter sont à observer avec honnêteté, et ce, pour avancer, non pas à travers des politiques d'exclusion mais avec des ponts de communication.
N'oublions pas en effet, que les gamins qui commencent à présenter des problèmes de comportement à l'école en présentent également rapidement dans la rue. Or, le citoyen a aussi le droit de refuser de vivre cette violence au quotidien. Et pourtant, j'entends souvent des collègues minimiser voire mépriser cette souffrance qui a, elle aussi, toute sa légitimité.
Yorn concluait son commentaire de la manière suivante : "(.....). Il en va de la stabilité de ce pays, voire de la paix civile." Je résumerai mon propos de la même manière, je pense effectivement qu'il est bien question là de la société de demain et de sa santé. Cette question est celle du citoyen, tout comme celle du professionnel de l'éducation.
De leur rencontre, découlera en partie la santé de notre société.
L'Educ
Je suis citoyenne française, d’origine portugaise.
Mes parents sont arrivés en France dans le années 60, comme nombre d’immigrants.
Arrivant de leur Portugal natal, de leur petit village du nord du Portugal, mes chers parents n’avaient pour seuls bagages qu’une petite valise cabossée remplie de tout leur courage et d’espoir, en quête d’une vie meilleure.
Moi, je suis née en 1969, puis en 1970 est né mon frère.
Mes parents n’étaient pas riches, loin de là. Pourtant ils travaillaient dure.
De chambres d’hôtel, en loge de concierge à Paris, puis un petit deux pièces avec toilettes sur palier et pas de salle de bain. Nous partagions mon frère et moi une grande chambre, mes parents quant à eux se contentaient du petit salon.
Et même si le confort matériel n’était pas de plus luxueux, il y a pourtant une chose qui ne nous a jamais manqué : l’amour !
Mes parents se sont battus toute leur vie afin que nous puissions mon frère et moi ne manquer de rien, surtout des choses essentiels, comme l’éducation.
Sans elle, nous ne serions pas aujourd’hui devenu les adultes responsables que nous sommes.
Mes parents sont portugais, aiment profondément le pays qui les a accueilli, se sont intégrés, parlent, écrivent et lisent le français, respectent les lois de ce pays, qui est le mien et celui de mon frère.
Hors, j’ai le sentiment que nombre de parents aujourd’hui on démissionné de leurs responsabilités.
Et ce que je souhaite mettre en lumière, c’est qu’il est clair que vivre dans un quartier difficile n’est probablement pas en effet un cadre des plus favorables à l’épanouissement, mais la base essentiel de l’épanouissement n’est elle pas l’amour et l’éducation qui en découle ?
Les travailleurs sociaux ne doivent il pas, plutôt que de surprotéger l’usager, prendre le relais d’une éducation défaillante et travailler davantage auprès des parents afin que ceux-ci prennent conscience du mal causé à leurs enfants ?
Oui, je suis d’accord avec votre raisonnement : « Un jeune, quel qu'il soit, est issu d'une société et "la bonne santé" des deux parties dépendant chacune l'une de l'autre. »
Une société dite en « bonne santé » doit donner les mêmes chances à chacun.
Et chacun de nous doit, acteurs de cette société, devons en respecter les règles.
L'education en est le fondement.
Une citoyenne française, citoyenne du monde.
Rédigé par : Maya | 06/03/2006 à 16:00
Un dernier mot : "L'EDUC est donc un carrefour de réflexion sur l'éducation, les jeunes et les familles, au passé, présent et futur".
Reflexions, les votres, auquelles j'adhère amplement.
Merci
Rédigé par : Maya | 06/03/2006 à 18:04